Penser l’accueil des enfants à « besoins spécifiques »
J’aimerais vous parler dans cet article d’un travail d’inclusion mené dans une structure d’accueil de la petite enfance pour un jeune garçon de 4 ans porteur d’un trouble du spectre de l’autisme.
J’ai travaillé en Suisse dans une nurserie-garderie dont l’ambition était de développer l’accueil d’enfants « à besoins spécifiques ». C’est à dire d’enfants qui rencontrent des difficultés d’inclusion dans un environnement ordinaire (sans adaptations).
Edward (nom d’emprunt) fréquente la garderie une matinée par semaine. Il n’a pas de troubles cognitifs mais un retard de langage, des intérêts spécifiques et des difficultés à interagir avec les autres enfants. Il peut être gêné par un environnement bruyant, trop stimulant. C’est un enfant joyeux, passionné par les voitures et les planètes.
Il a eu peu l’occasion de passer du temps avec d’autres enfants de son âge. Son accueil en garderie doit lui permettre de multiplier les interactions avec ses pairs dans un environnent adapté pour développer ses capacités de communication. Il doit intégrer l’école l’an prochain dans une classe spécialisée.
S’inspirer de la méthode T.E.A.C.C.H.
Teacch signifie « Treatment and Education of Autistique and related Communication-handicapped Children » soit « Traitement et éducation pour enfants avec autisme ou handicap de la communication ».
La « méthode » T.E.A.C.C.H., est une façon d’enseigner et d’accompagner les personnes autistes pour leur donner une meilleure compréhension du monde qui les entoure.
Ce programme d’éducation inclut des outils et des techniques pour organiser l’environnement et le temps, structurer les activités et personnaliser des supports visuels en fonction des compétences et des besoins particuliers de chaque personne autiste. C’est ce qu’on résume parfois par l’expression « éducation structurée ».
Organiser l’environnement
Nous sommes tous naturellement plus à l’aise et confiants dans un environnement dont nous connaissons l’organisation, les codes sociaux. Nous anticipons implicitement ce qui est attendu de nous. Cela est rassurant et nous confère un sentiment de sécurité qui nous permet de développer nos pleines compétences.
C’est d’autant plus le cas pour une personne avec autisme, pour qui tout nouvel environnement peut être source d’incompréhensions et donc de stress.
L’utilisation de supports visuels peut rendre plus compréhensible/lisible l’environnement d’un enfant porteur d’un trouble de l’autisme. (cf article L’image comme support d’aide à la décision)
Dans cette optique, Edward dispose de photographies des différents espaces qu’il fréquente à la garderie (Entrée, porte-manteau, salle commune, salle de détente, toilettes, cour de récréation, etc.)
Il a aussi les photos des membres de l’équipe. Il peut ainsi les regarder en famille avant de venir pour anticiper sa matinée et la rendre plus prévisible.
Structurer le temps
Edward a besoin de routines, c’est-à-dire d’activités qui vont se répéter à certains moments de la journée, comme des étapes qui vont le guider. Ces routines sont proposées lors des moments de transition qui peuvent être stressants pour l’enfant :
Arrivée/séparation avec la famille
Changement d’activité, de lieu
Fin d’un temps de jeu et passage aux toilettes
J’utilise des pictogrammes pour aider Edward à visualiser le passage d’une activité à une autre. Cela renforce sa compréhension.
Les autres enfants sont très intéressées et curieux des outils de C.A.A. mis en place. Cela provoque un engouement autour d’Edward et donne lieu à des moments d’échanges et de sensibilisation sur l’autisme.
Éviter la sur stimulation
Une garderie, parce qu’elle accueille de jeunes enfants est un lieu plein de vie ! Mais qui peut être trop bruyant, agité et sur stimulant quand on souffre d’hypersensibilité auditive.
Pour éviter à Edward des situations de stress, une salle a été aménagée pour pouvoir l’accueillir au calme :
A certains moments particulièrement sonores de la journée (ex : chansons, jeux libres).
Des objets qu’il apprécie sont à sa disposition. Il aime se poser au sol avec un circuit de voitures, à table avec un puzzle. Je l’accompagne toujours dans la salle. La porte reste entrouverte, il peut rejoindre le groupe à tout moment.
A chaque fois qu’il en ressent le besoin
Dans les premiers temps, j’invitais régulièrement Edward à s’y rendre quand le niveau sonore me paraissait trop élevé ; puis au fil des semaines il a pu en autonomie utiliser cet espace par lui-même comme ressource pour s’isoler si besoin.
Sur des temps de jeux en petit groupe
J’organise dans la matinée des temps de jeux avec Edward et trois enfants (pâte à modeler, perles d’eau, jeux de construction, lotos des animaux, …). Le groupe reste le même sur plusieurs semaines. Cela permet aux enfants d’apprendre à se connaitre et rend les comportements de ses pairs plus prévisibles pour Edward.
Les repas pris en salle commune (avec 4O enfants) se sont vite avérés inadaptés aux besoins spécifiques d’Edward. Il mange donc dans une salle adjacente, plus au calme avec les trois mêmes enfants avec qui il a joué durant la matinée. Ce temps est un moment propice à la communication et à l’apprentissage de l’autonomie dans un cadre favorable et facilitateur.
La collaboration avec le réseau de l’enfant
La liste qui suit n’est pas constituée par ordre de priorité. La collaboration avec chaque membre du réseau est fondamentale.
La famille
Un temps d’échange se fait avec la famille à l’arrivée de l’enfant. Cela permet de prendre des informations sur l’état de l’enfant pour adapter au mieux le rythme de sa matinée.
De même, lorsque la famille vient récupérer l’enfant, c’est l’occasion de restituer en sa présence comment s’est passé sa journée et de créer un lien de confiance mutuel.
Je prends tout au long de la matinée des photos et des vidéos d’Edward pour montrer comment il habite ce temps en garderie. Ces images sont ensuite montrées à la famille puis collées dans un cahier qui fait des allers-retours avec la maison. Ce support est un outil de communication entre l’équipe et la famille mais aussi entre l’enfant et sa famille. Il donne à voir son évolution au fil des semaines. On voit comment Edward à progressivement modifié sa posture, son regard, pour se tourner davantage vers les autres enfants.
Le réseau de professionnels
Edward est accompagné par un réseau de professionnels spécialisés dans la prise en charge d’enfants porteurs de troubles autistiques :
Cette association est spécialisée dans la prise en charge comportementale, développementale, et individualisée d’enfants de 2 à 8 ans avec troubles du spectre autistique. J’ai pu rencontrer l’équipe et assister à des séances d’A.B.A. dans leurs locaux. Ces moments d’échanges sont précieux et fondamentaux car ils donnent des clés de compréhension pour organiser au mieux l’inclusion de l’enfant.
Service éducatif itinérant, Fondation de Vernand
Il dispense des prestations de pédagogie précoce spécialisée à des enfants de 0 à 4 ans, présentant des difficultés dans leur développement. Il a pour buts de soutenir le développement du potentiel de l’enfant dans ses premières années et la compétence des parents confrontés aux besoins spécifiques de leur enfant.
L’intervenante du S.E.I. est venue à la garderie pour observer Edward et donner des conseils sur la manière de structurer son environnement ou le choix des activités à lui proposer. Ce service est un relais utile pour soutenir des équipes souvent non formées à l’accueil d’enfants à besoins spécifiques.
L’école
Edward est en âge de rentrer à l’école. Afin de préparer au mieux cette inclusion, l’école réuni la famille et les professionnels autour de l’enfant pour évaluer ensemble les besoins et envisager l’attribution de mesures renforcées de pédagogie spécialisée. La garderie a été invitée à participer à une réunion au sein de l’école pour rendre compte de l’inclusion d’Edward.
Je félicite grandement cette procédure suisse qui permet d’anticiper et de prendre en compte les besoins de l’enfant avant son entrée à l’école.
Cet outil d’aide à la prise de décision s’intitule procédure d’évaluation standardisée (PES)
Les enfants de la garderie
Les enfants sont curieux des adaptations mises en place pour le bien être d’Edward. Ils posent naturellement des questions à l’équipe. Ils comprennent facilement ses besoins spécifiques et acceptent que la règle diffère à certains moments pour Edward. Il existe un certain nombre d’albums pour enfants qui abordent la question de la différence. Leur lecture en groupe peut permettre d’informer et de sensibiliser à certaines problématiques rencontrées par les enfants à besoins spécifiques. J’en présenterai certains dans un prochain article.
Avec l’accord de sa mère, la direction a informé l’ensemble des familles de l’accueil inclusif d’Edward. Donner cette information aux parents leur permet, à eux aussi, d’être sensibilisés à l’importance de l’inclusion et de pouvoir répondre aux possibles questions de leurs enfants.
La sensibilisation des parents de pairs est d’ailleurs une recommandation du module sur l’inclusion scolaire du MOOC Troubles du spectre de l’autisme: interventions de l’Université de Genève (cf article Se former sur l’autisme grâce aux M.O.O.C.)
L’équipe
Il est important de définir une personne référente chargée de mettre en œuvre un environnement facilitateur pour l’enfant. Néanmoins, la réussite d’un projet d’inclusion ne repose pas sur une seule personne. L’ensemble de l’équipe doit être informée et sensibilisée aux besoins de l’enfant, du personnel de cuisine jusqu’à à la direction.
En conclusion, je dirais qu’un projet d’inclusion réussi nécessite :
Une bonne connaissance de l’enfant
Un engagement de tous les partenaires à travailler ensemble
Des ressources pour mettre en œuvre un environnement facilitateur
La conviction que l’inclusion n’est pas une faveur mais un droit à faire appliquer, dans le souci du bien-être de l’enfant.